Le fiasco du transfert de 11 rhinocéros noirs au Kenya était prévisible. Des mises en garde ont été émises concernant le site qui a accueilli les animaux qui ont tous trouvé la mort.

Kenya : 11 rhinocéros transférés pour leur préservation sont morts... de soif Cover-11


Le transfert de 11 rhinocéros vers un parc national du sud-est du Kenya ne devait être qu'une formalité. Il s'est transformé en un des plus grands ratés de l'histoire de la protection de la faune sauvage du pays, laissant pantois les défenseurs de l'environnement. Selon plusieurs témoignages corroborés par des documents consultés par l'AFP, de nombreuses mises en garde ont été émises, ignorées, voire étouffées, sur la salinité bien trop importante du point d'eau prévu pour les 11 animaux, finalement morts en juillet de déshydratation.

Une eau beaucoup (beaucoup) trop salée
Fin juin 2018, c'est en grande pompe que le ministre kényan du Tourisme et de la Faune sauvage Najib Balala et le Fonds mondial pour la nature (WWF) saluent l'aboutissement d'un projet de six ans : les rhinocéros noirs (Diceros bicornis) sont emmenés depuis les parcs de Nairobi et Nakuru (centre) vers un nouveau sanctuaire - un immense enclos de 100 km2 - dans le parc de Tsavo Est (sud-est). Mais après ingestion de l'eau pompée plusieurs mètres sous terre pour eux, les rhinocéros meurent les uns après les autres. Ce projet du Service kényan de la Faune (KWS), financé à hauteur d'un million de dollars par le WWF, se transforme en cauchemar.

Selon le docteur Benson Kibore, directeur de l'Association kényane des vétérinaires, et qui a participé à l'autopsie des rhinocéros, cette eau était tellement salée qu'elle avait corrodé une grille en métal proche de la pompe. Le liquide a vraisemblablement donné encore plus soif aux rhinocéros, qui en ont donc consommé plus. La lente déshydratation de leur corps s'est notamment traduite par un dessèchement de leurs tissus et un épaississement de leur sang. Pourtant, une quinzaine de tests aquifères ont été menés entre février et mai 2018. Leurs résultats, consultés par l'AFP en août, indiquent une salinité dangereuse. Selon le Dr Kibore, ces données n'ont même pas été communiquées aux vétérinaires lorsque les premiers rhinocéros sont tombés malades, leur faisant perdre un temps précieux pour trouver l'origine de la maladie.


Le WWF accusé d'avoir forcé le transfert
Lorsque le transfert a été confirmé, "j'étais horrifié, j'étais sûr qu'il y aurait un problème", assure de son côté Nehemiah Rotich, un ancien responsable du KWS. Le transfert, imaginé par l'organe exécutif du KWS, avait été refusé à plusieurs reprises par le conseil d'administration du KWS en raison de l'eau et du manque de végétation dans le sanctuaire. Brian Heath, un ancien membre du conseil, a dénoncé des pressions du WWF pour que le transfert ait lieu. Devant le Parlement, l'ancien président du conseil d'administration du KWS et célèbre paléoanthropologue Richard Leakey a également fustigé des "interférences" du WWF. Le conseil dont faisaient partie MM. Leakey et Heath a finalement approuvé le transfert en octobre 2017 à la condition que le sanctuaire soit amélioré. Leur mandat a pris fin en avril, et trois mois plus tard, le déplacement des rhinocéros a eu lieu, sans qu'un nouveau conseil (pas encore nommé) ne se soit penché sur la question.

Les actuels responsables du KWS, dont l'exécutif, ont refusé de répondre à l'AFP, notamment à la question de savoir qui a finalement approuvé le transfert. D'autres éléments suggèrent par ailleurs un bras-de-fer sur la question, comme le compte-rendu d'une réunion de mai 2017 portant sur le projet, et à laquelle ont participé des responsables du KWS et Martin Mulama, expert en rhinocéros pour le WWF. Un premier compte-rendu, vu par l'AFP, ne faisait aucune référence à d'éventuelles préoccupations. Plusieurs participants s'en sont plaints et une deuxième version du compte-rendu indique que "l'habitat dominant ne permet pas qu'un transfert ait lieu". Le WWF nie toute ingérence et M. Mulama estime que la responsabilité du fiasco incombe entièrement au KWS. "A aucun moment nous n'aurions fait quelque chose qui soit défavorable à l'espèce que nous essayions de protéger", soutient-il auprès de l'AFP. Il affirme qu'en dehors des variations météorologiques, le WWF n'était au courant d'aucun problème lié au sanctuaire et avait reçu "des garanties régulières de la part de KWS que le site convenait et était sûr". D'anciens membres du conseil d'administration de KWS accusent M. Balala d'avoir autorisé le transfert en leur absence.

Une responsabilité que personne ne veut endosser
Le ministre refuse lui de porter le blâme et fustige à son tour le conseil d'administration, soutenant que si ses membres étaient opposés au projet, ils auraient dû voter son annulation tant qu'ils le pouvaient. M. Balala assure également que sa présence à la cérémonie de lancement du projet ne peut être interprétée comme le signe d'une implication approfondie : "Est-ce que je savais pour l'eau ? Est-ce que je savais que le conseil avait des objections? Je n'étais même pas au courant". "S'ils veulent que je démissionne, qu'ils prouvent le rôle que j'ai joué", a-t-il dit dans un entretien à l'AFP.

Mais pour Paula Kahumbu, directrice de l'ONG Wildlife Direct, le problème actuel va au-delà de la mort des rhinocéros. "Il y a eu des ratés à de multiples niveaux, et le fait que plusieurs autorités refusent d'endosser une quelconque responsabilité est très préoccupant", estime-t-elle. La construction récente d'un pont ferroviaire à travers le parc national de Nairobi et d'autres infrastructures dans des zones protégées sont pour elle le signe d'une "époque très très sombre pour le Kenya" et sa faune sauvage.

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