Marineland
J’ai fait comme vous. J’ai été à Marineland, à Antibes. C’était en 2012.
Ma femme ne rêvait que d’une chose : Y retourner. Elle avait, comme tant d’autres, reçu le fabuleux message du non moins célèbre film de Luc Besson, je parle bien sûr du Grand Bleu.
Qui n’a pas rêvé depuis de nager parmi ces fabuleux mammifères, en se laissant effleurer par des animaux dont on est tous persuadés qu’ils n’ont qu’une seule raison de vivre : nous être agréables.
Eh oui. En tant qu’espèce au sommet de la chaine de l’évolution, on ne peut imaginer qu’un animal sauvage ne se soumette pas à une race qui lui est supérieure, du moins le croit-on. Pourtant, tous ceux qui ont fait l’expérience de la vie sauvage auront remarqué cette fâcheuse tendance qu’ils ont de nous fuir, qu’on soit animé de bonnes intentions ou non. Mais j’y reviendrai.
2012, c’est l’été et foi de touristes en goguette, nous décidons de profiter de la proximité du parc pour nous fondre dans la masse, le mot est faible, histoire de voir des orques et des dauphins
« en vrai », comme on dit.
Je suis bien naïf quand je m’imagine qu’un tel endroit est peuplé de scientifiques qui sont prêt à vous barrer le chemin à la moindre occasion pour préserver la tranquillité des animaux. Il s’agit bien d’un parc d’attractions où les amusants animatronics ont été remplacés par des animaux vivants. Une myriade de bambins frappent les vitres des aquariums et trépignent de cupidité devant les boutiques de nounours attendrissants à l’image de ces gros poissons qu’ils rêveraient d’adopter, si tant est que ce soit possible.
Tout est calculé au laser pour vous emmener dans la magie du spectacle vivant, vieille tradition française qui plus est, dirigés et assis dans les arènes prévues à cet effet ; rien qu’à cet effet.
A ce stade, si j’étais un individu comme tout le monde, je vous dirais que c’est beau de voir ces bestioles majestueuses évoluer comme des chatons qui courent après une boule de papier mais vous l’aurez compris, ce qui m’intéresse, au-delà du spectacle, c’est l’envers du décor. Et comme dans tous les spectacles de magie, il y a la promesse, le tour et le prestige. Je me permets de citer cet adage du roman de Christopher Priest car il s’accompagne fatalement de la phrase qui explique toute l’analyse qui va suivre : Vous avez envie d’être dupés.
Vous avez sans doute déjà compris qu’on ne peut vous laisser voir l’envers du décor car si le magicien révèle les secrets de son tour, il n’y a plus de magie ; ne reste que la réalité, la pire.
Voilà ce que je crois. Un animal sauvage, dans son milieu naturel est un être qui pense, qui communique avec ses congénères et qui agit en fonction d’une seule chose : son instinct. Dès l’instant où une autre espèce lui dit quoi faire, il devient soit une proie soit un animal domestique. Dans la nature, depuis des millions d’années, les proies sans défense se reproduisent à l’excès dans un seul but : satisfaire l’appétit de son prédateur pour qu’une infime partie de l’espèce puisse survivre.
A l’ère du crétacé, malgré la présence tardive du plus féroce prédateur que la terre ait jamais porté, le tyrannosaure, toutes ces espèces ont pu survivre pendant près de 100 millions d’années avant qu’un élément imprévu venu de l’espace mette fin à cette harmonie sanguinaire mais indispensable à la vie sur terre.
Et voilà l’homme, comme dirait France Gall. Un bipède cupide qui n’a pas supporté d’être si bas dans la chaîne alimentaire qu’il a développé son intelligence au-delà de son instinct pour se défendre dans un premier temps puis pour se divertir lorsque tout danger fût écarté.
D’aussi loin qu’on puisse reculer, on trouve des hommes qui ont cherché à voir ou avoir ce que la nature ou l’environnement leur refusaient. La technologie, la science, le savoir, la religion, des moyens anoblis de découvrir l’envers du décor pour fournir aux autres une distraction, un moyen d’échapper à la seule condition naturelle d’être humain, si ennuyeuse et pourtant indiscutable dans l’esprit du sage à savoir, naître, vivre et mourir.
Revenons à notre époque. Revenons au Marineland. Nous ne sommes pas des biologistes marins et bien loin de nous l’idée d’embarquer à bord de la Calypso pour parcourir les océans à la recherche de données sur la faune au prix de longs mois à observer en silence ces animaux qui nous fascinent. Nous, les consommateurs, n’avons le temps de rien tellement il y a de choses à faire pour se distraire. Aussi faut-il qu’il y ait des endroits comme celui-là pour qu’au prix de quelques dizaines d’euros, nous puissions découvrir une belle boite de verre et de béton bleu où un pragmatique propriétaire a eu l’idée d’y concentrer tous les océans de la planète.
Ensuite, il y a les dresseurs qu’on appelle à tort des soigneurs tant ils ne sont ni biologistes marins ni même vétérinaires. Ils sont en général de simples mais réels passionnés des espèces marines à qui l’on apprend, le plus simplement du monde à se faire obéir par un animal de parfois plus de 7 tonnes. Mais qui leur apprend cela ? Des biologistes marins soucieux du bien-être animal ou bien d’anciens ou actuels dresseurs de parcs comme Sea World, pour ne citer que le plus connu. Ce n’est pas le vétérinaire qui vient ausculter les animaux qui leur explique comment faire sauter un dauphin dans un cerceau, non lui au mieux leur montrerait comment faire en sorte que le mammifère se couche sur le côté docilement pour faire un prélèvement sanguin. Tu parles, c’est quand même plus pratique que d’enfiler une combinaison de plongée pour aller à la poursuite d'un dauphin dans l'eau et d'aller chercher le précieux prélèvement.
Puis nous avons les animaux. Prenons les orques comme exemple, même si l’on pourrait comparer le sort de toutes les espèces présentes sans aucune difficulté. On dit d’elle qu’elle est une espèce en voie de disparition, ce qui est faux et que de ce fait, il faut en faire une captive pour la préserver du danger qu’elle coure dans l’océan. Pensez donc, avec un territoire moyen de 1000 kilomètres carrés et une vitesse moyenne de 15 mètres par seconde, on se demande de quel danger on parle. A moins que l’homme n’y soit pas étranger… Pourtant, l’homme, c’est notre espèce. On sait comment l’empêcher de faire du mal aux autres et dieu sait qu’on est outillés pour ça.
On dit que c’est pour les étudier qu’on les enferme. Noble cause qui doit tout de même s’affranchir de 9 heures de spectacle populaire rémunérés avec des poissons morts congelés et quelques médicaments pour combattre la proximité de nos microbes mais admettons. Les 15 heures qui restent, on ne peut prendre le risque de les laisser dans leur magnifique bassin de 44 millions de litres, conçu tout spécialement pour qu’on puisse les voir, au risque qu’un imbécile veuille vraiment aller nager avec et se fasse copieusement dévorer par un gentil mammifère qui voudrait chasser de la viande vivante pour une fois. Alors on les mets dans des enclos plus petits, c’est plus pratique pour les avoir à l’œil parce qu’on les aime et que quand on est soigneur, pardon, dresseur, on sait communiquer avec une orque et ainsi affirmer que ça lui plaît d’être enfermé.
C’est vrai, soyons raisonnables. Pensez-vous que si on ouvrait un enclos raccordé à la mer en fin de spectacle, cet affectueux mammifère reviendrait au petit matin pour assurer le show ? Il faudrait essayer pour le savoir, ce qui mettrait en péril un business très lucratif. Non, c’est inenvisageable d’autant qu’on n’arrête pas de vous dire que si on les relâchait, puisqu’ils sont nés en captivité, ils ne survivraient pas en liberté. Une orque, ce n’est jamais qu’un animal incapable de vivre en pleine nature sans l’intervention de l’homme, dès qu’il est né, il n’est plus cet être intelligent qui chasse en groupe, de manière coordonnée et capable de communiquer avec ses troupes à des dizaines de kilomètres de distance. Nous même, bipèdes cupides que nous sommes, serions incapables de survivre en société après vingt ans de prison. Ah mais si, on le peut nous...
Allons, serais-je donc le seul à penser que la seule vraie raison qui pousse ces gens à les maintenir en vie c’est l’argent que ça rapporte ? Marineland c’est avant tout Parques Reunidos et ses 72 parcs d’attraction dont 13 autour de la faune marine. Et tout ça pour préserver les espèces ? Je vous le dis comme je le pense, il n’y a qu’à fabriquer des enclos partout dans le monde et y mettre tous les animaux sauvages tant la nature est dangereuse pour eux. A moins que nous, les hommes, nous n'arrêtions de payer pour assouvir nos fantasmes avec autre chose que du courage et de la patience.
Tout serait plus simple si on prenait la peine de regarder les choses là où elles sont et de se donner les moyens humains d’y parvenir.
J’ai eu la chance de pouvoir voir des dauphins en liberté l’été dernier, à 25 kilomètres au large de la côte où se trouve Marineland. C’était beau. C’était simple. J’ai vu cette quiétude absolue sur le visage de ma femme. Ce sourire qui point lorsqu’on a vécu un rêve et pourtant, il a suffi de plonger dans la mer au milieu de 80 dauphins qui n’avaient que faire de nos fantasmes et qui restaient à bonne distance de nous. On aurait pu plonger avec un ballon ou un sifflet qu’ils ne nous auraient pas moins ignoré.
La nature elle-même a tenté de détruire ce parc il y a quelques jours. N’est-ce pas le moment de vraiment la préserver et de laisser à ces captifs une chance, ne serait-ce qu’une seule de vivre leur vie comme cette nature l’a décidé ?
Dans le Grand Bleu, Jacques dit cette chose si belle que le sens en aura échappé à bon nombre de gens :
Tu sais ce qu’il faut faire pour vivre au milieu des sirènes ?
Tu descends au fond de la mer très loin
Si loin que le bleu n’existe plus
Là où le ciel n’est plus qu’un souvenir
Une fois que tu es là, dans le silence, tu y restes
Et si tu décides que tu veux mourir pour elles
Rester avec elles pour l’éternité
Alors elles viennent vers toi et jugent l’amour que tu leur porte
S’il est sincère
S’il est pur
Et si tu leur plais
Alors elles t’emmèneront pour toujours. N’est-ce pas un dauphin qui vient le chercher par 120 mètres de fond pendant la dernière scène du film ? Avez-vous compris le vrai message de ce film ?
NDLA : Je vous invite à regarder ce documentaire poignant sur l’Orque Tilikum. Ce film se nomme BLACK FISH et il est narré par les dresseurs de Sea World, par des propriétaires de parc, par des scientifiques et il m’a mis la claque dont j’avais besoin pour ouvrir les yeux complètement. Disponible sur Youtube, vous pouvez le regarder grâce aux lecteurs vidéos à droite de cet article.Source :
futurlabo.com