Après la drogue et les armes, les animaux sont le troisième marché criminel. Première victime en France : le meilleur ami de l’homme. Enquête coup de poing sur un fléau.
Extérieur jour. Une cour d’immeuble, à Saint-Denis. Deux locaux poubelles ; portes en bois entravées d’une chaîne, sans cadenas. Des gémissements. Intérieur nuit. Une odeur âcre qui provoque des haut-le-cœur. Il faut se frayer un chemin entre les restes de nourriture avariée et les déjections. Prostrée au fond de sa geôle, une chienne de race american staff, mamelles gonflées, se laisse approcher.
Quelques caresses et elle accepte de nous suivre, pressentant la fin du calvaire. Dans le second réduit de 2 mètres carrés, l’équipe de la Fondation 30 millions d’amis délivre un autre pitbull qui baigne dans l’urine et les excréments. Terrorisée, la pauvre bête peine à marcher. « Ces animaux servent à la reproduction, explique Arnauld Lhomme, enquêteur de la fondation. Leur attitude laisse deviner qu’ils sont régulièrement tabassés. »
Sur le toit des cabanons, on découvre un manche de pioche, un martinet, un crochet… Ce 1er mars 2018, un chiot est également saisi. Agé d’environ 4 mois, craintif, il présente une blessure à la mâchoire. « Une fracture ouverte de la mandibule droite, non soignée et datant de plusieurs jours », notera le vétérinaire. Aux fenêtres, les voisins observent la scène, soulagés. Le manège durait depuis des mois. Après avoir squatté l’appartement du rez-de-chaussée, des types avaient monté leur business clandestin dans les parties communes de la copropriété. « Le staff reste très demandé, indique un responsable de la fourrière de la Seine-Saint-Denis. Il se revend 900 euros au marché noir. »
Changement de décor. Un village en Haute-Saône, près de Marnay. Quelques maisons au milieu des champs. La France tranquille. C’est dans ce cadre bucolique que les 10 enquêteurs de la brigade de recherches de Vesoul montent une planque, dans la nuit du 16 mars 2018. Bingo. Un fourgon en provenance de Slovaquie vient effectuer sa livraison. Au petit matin, les militaires, assistés de la brigade nationale vétérinaire et de la cellule antitrafic de la SPA, débarquent dans la propriété de Jean-Jacques M., 72 ans. Dans la grange, ils découvrent 11 bouledogues français et 12 carlins parqués sur de la paille. La cavalerie se hâte de les récupérer. Jean-Jacques M. ne bronche pas. Garde à vue. Motif : « introduction sur le territoire d’animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, exécution de travail dissimulé et blanchiment ».
Son dossier est costaud. Il est soupçonné d’avoir écoulé 150 chiens importés illégalement depuis 2015, via le site Leboncoin. Bien rodée, sa petite entreprise ne connaît pas la crise. Cet ancien vétérinaire radié de l’ordre passe une partie de l’année sous le soleil, en Corse, puis revient en Haute-Saône quand ça mord sur Internet ou dans les salons du chien. Un job en flux tendu. Diffusion d’annonces, commandes en fonction de la demande, vaccinations contre la rage douteuses. Un bouledogue acheté 480 euros aux Slovaques est revendu 850 euros en France. Un carlin payé 360 euros est proposé 720 euros. Montant des gains en deux ans et demi : 130 000 euros. Net d’impôt. Problème : les chiots ont, par la suite, une fâcheuse tendance à développer des maladies moyenâgeuses : gale, démodécie, toux de chenil, teigne… Une acheteuse en a fait les frais. C’est elle qui a donné l’alerte, et c’est comme ça que l’ancien vétérinaire s’est fait pincer.
Troisième trafic mondial après la drogue et les armes, le trafic d’animaux est un sport national en France, mais personne n’est capable de le chiffrer. Il n’y a pas de rapport financier annuel, aucune base ne regroupe le nombre d’animaux de compagnie saisis à la suite des investigations des associations de protection animale et des DDPP (directions départementales de la protection des populations). « Il est difficile d’évaluer une activité qui, par nature, est dissimulée, relève Franck Verger de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP). D’autant que, en France, en ce qui concerne les animaux domestiques, on ne parle pas de trafic – la qualification pénale pour ce terme n’existe pas –, mais de commerce non conforme à la réglementation. Les premières victimes sont les chiens. » A ce jour, le fichier national I-Cad (identification des carnivores domestiques) recense dans l’Hexagone 10 millions de chiens et 5,8 millions de chats. « Pour répondre à la demande, poursuit Franck Verger, il faut produire 800 000 chiots par an. L’élevage clandestin et l’importation illégale touchent au minimum un tiers d’entre eux. »
Pas un mois ne passe sans que la BNEVP et les associations soient sollicitées. Depuis 1993, la SPA a sa propre cellule dirigée par un ancien gendarme, Julien Soubiron. « On a vu l’évolution du trafic, dit-il. Il y a quelques années, on était face à de gros importateurs clandestins qu’on a pu faire tomber. Désormais, il n’y a plus de profil type. » « Même déclarés, beaucoup d’éleveurs bricolent, confirme Franck Verger. Ils font entrer des chiens des pays de l’Est, ça leur permet de gagner du temps et de l’argent. Ce n’est pas interdit, à condition que les animaux soient identifiés par puce électronique et que la vaccination contre la rage soit valable…
Plus les chiots sont petits, mieux ils se vendent
Pour l’heure, c’est le sanitaire qui régit le règlement, pas le bien-être. » Coïncidence troublante, en quatre ans, le nombre de carnivores importés a augmenté de 17 %, révèle l’I-Cad. Ces éleveurs alimentent ainsi les vitrines des animaleries, les salons du chiot, les foires, les petites annonces. La magouille consiste à mettre les chiots proposés à la vente sous portée française et à tricher sur l’âge des chiens, c’est-à-dire en dessous des 15 semaines légales quand ils viennent de l’étranger (contre 8 semaines s’ils sont nés en France). Plus c’est petit, mieux ça se vend. Provenant des élevages en batterie de Slovaquie, Tchéquie, Hongrie, Roumanie, les chiots à peine sevrés font des quinzaines d’heures de route, entassés dans des camionnettes, avant d’arriver en France. Bien souvent, ils développent des pathologies lourdes et des troubles comportementaux qui empoisonnent la vie des acheteurs.
« On voit aussi revenir de vrais voyous, constate Franck Verger. Les combats de pitbulls, que l’on croyait réservés aux années 1990, ont repris depuis deux ans. » Pas besoin d’importer, le pit est une des spécialités de l’Hexagone. On sait le faire se reproduire jusqu’à l’épuisement et l’élever à coups de matraque. Sur Facebook, les pages dédiées pullulent. L’une des plaies du moment, ce sont aussi les particuliers qui commencent par croiser Médor avec Mirza. Ils se déclarent éleveurs avec autorisation préfectorale et certificat de capacité en règle, puis improvisent sans se soucier des standards de race et encore moins des impératifs biologiques. Le résultat donne des bouges sordides au fond des jardins ou des caves, ainsi que des centaines d’animaux en souffrance, affublés de pedigrees dont ils n’ont jamais été pourvus. Des réfrigérateurs blindés de cadavres pour ne pas payer l’équarrissage quand il y a « de la perte » et des acheteurs bernés qui finissent par mettre leur animal malade au rebut.
Notre job, c’est de forcer l’Etat à faire son travail
Après la drogue et les armes, les animaux sont le troisième marché criminel. Première victime en France : le meilleur ami de l’homme. Enquête coup de poing sur un fléau.
Extérieur jour. Une cour d’immeuble, à Saint-Denis. Deux locaux poubelles ; portes en bois entravées d’une chaîne, sans cadenas. Des gémissements. Intérieur nuit. Une odeur âcre qui provoque des haut-le-cœur. Il faut se frayer un chemin entre les restes de nourriture avariée et les déjections. Prostrée au fond de sa geôle, une chienne de race american staff, mamelles gonflées, se laisse approcher.
Lire aussi: Non au massacre des chiens roumains
Quelques caresses et elle accepte de nous suivre, pressentant la fin du calvaire. Dans le second réduit de 2 mètres carrés, l’équipe de la Fondation 30 millions d’amis délivre un autre pitbull qui baigne dans l’urine et les excréments. Terrorisée, la pauvre bête peine à marcher. « Ces animaux servent à la reproduction, explique Arnauld Lhomme, enquêteur de la fondation. Leur attitude laisse deviner qu’ils sont régulièrement tabassés. »
Lire aussi: Pantin : plusieurs cadavres de chiens retrouvés dans un logement
Sur le toit des cabanons, on découvre un manche de pioche, un martinet, un crochet… Ce 1er mars 2018, un chiot est également saisi. Agé d’environ 4 mois, craintif, il présente une blessure à la mâchoire. « Une fracture ouverte de la mandibule droite, non soignée et datant de plusieurs jours », notera le vétérinaire. Aux fenêtres, les voisins observent la scène, soulagés. Le manège durait depuis des mois. Après avoir squatté l’appartement du rez-de-chaussée, des types avaient monté leur business clandestin dans les parties communes de la copropriété. « Le staff reste très demandé, indique un responsable de la fourrière de la Seine-Saint-Denis. Il se revend 900 euros au marché noir. »
Lire aussi: Rhône : 53 chiens maltraités retrouvés dans une maison
Changement de décor. Un village en Haute-Saône, près de Marnay. Quelques maisons au milieu des champs. La France tranquille. C’est dans ce cadre bucolique que les 10 enquêteurs de la brigade de recherches de Vesoul montent une planque, dans la nuit du 16 mars 2018. Bingo. Un fourgon en provenance de Slovaquie vient effectuer sa livraison. Au petit matin, les militaires, assistés de la brigade nationale vétérinaire et de la cellule antitrafic de la SPA, débarquent dans la propriété de Jean-Jacques M., 72 ans. Dans la grange, ils découvrent 11 bouledogues français et 12 carlins parqués sur de la paille. La cavalerie se hâte de les récupérer. Jean-Jacques M. ne bronche pas. Garde à vue. Motif : « introduction sur le territoire d’animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, exécution de travail dissimulé et blanchiment ».
Anne-Claire examine des annonces suspectes publiées sur Le boncoin. Anne-Claire examine des annonces suspectes publiées sur Le boncoin.
Gaëlle Girbes/ Sipa Press
Son dossier est costaud. Il est soupçonné d’avoir écoulé 150 chiens importés illégalement depuis 2015, via le site Leboncoin. Bien rodée, sa petite entreprise ne connaît pas la crise. Cet ancien vétérinaire radié de l’ordre passe une partie de l’année sous le soleil, en Corse, puis revient en Haute-Saône quand ça mord sur Internet ou dans les salons du chien. Un job en flux tendu. Diffusion d’annonces, commandes en fonction de la demande, vaccinations contre la rage douteuses. Un bouledogue acheté 480 euros aux Slovaques est revendu 850 euros en France. Un carlin payé 360 euros est proposé 720 euros. Montant des gains en deux ans et demi : 130 000 euros. Net d’impôt. Problème : les chiots ont, par la suite, une fâcheuse tendance à développer des maladies moyenâgeuses : gale, démodécie, toux de chenil, teigne… Une acheteuse en a fait les frais. C’est elle qui a donné l’alerte, et c’est comme ça que l’ancien vétérinaire s’est fait pincer.
Pour répondre à la demande, explique Franck Verger, il faut produire 800 000 chiots par an
Troisième trafic mondial après la drogue et les armes, le trafic d’animaux est un sport national en France, mais personne n’est capable de le chiffrer. Il n’y a pas de rapport financier annuel, aucune base ne regroupe le nombre d’animaux de compagnie saisis à la suite des investigations des associations de protection animale et des DDPP (directions départementales de la protection des populations). « Il est difficile d’évaluer une activité qui, par nature, est dissimulée, relève Franck Verger de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP). D’autant que, en France, en ce qui concerne les animaux domestiques, on ne parle pas de trafic – la qualification pénale pour ce terme n’existe pas –, mais de commerce non conforme à la réglementation. Les premières victimes sont les chiens. » A ce jour, le fichier national I-Cad (identification des carnivores domestiques) recense dans l’Hexagone 10 millions de chiens et 5,8 millions de chats. « Pour répondre à la demande, poursuit Franck Verger, il faut produire 800 000 chiots par an. L’élevage clandestin et l’importation illégale touchent au minimum un tiers d’entre eux. »
Cette chienne chihuahua, saisie en Seine-et-Marne, a mis bas dans un refuge de 30 millions d’amis. Cette chienne chihuahua, saisie en Seine-et-Marne, a mis bas dans un refuge de 30 millions d’amis.
Gaëlle Girbes/ Sipa Press
Pas un mois ne passe sans que la BNEVP et les associations soient sollicitées. Depuis 1993, la SPA a sa propre cellule dirigée par un ancien gendarme, Julien Soubiron. « On a vu l’évolution du trafic, dit-il. Il y a quelques années, on était face à de gros importateurs clandestins qu’on a pu faire tomber. Désormais, il n’y a plus de profil type. » « Même déclarés, beaucoup d’éleveurs bricolent, confirme Franck Verger. Ils font entrer des chiens des pays de l’Est, ça leur permet de gagner du temps et de l’argent. Ce n’est pas interdit, à condition que les animaux soient identifiés par puce électronique et que la vaccination contre la rage soit valable…
Plus les chiots sont petits, mieux ils se vendent
Pour l’heure, c’est le sanitaire qui régit le règlement, pas le bien-être. » Coïncidence troublante, en quatre ans, le nombre de carnivores importés a augmenté de 17 %, révèle l’I-Cad. Ces éleveurs alimentent ainsi les vitrines des animaleries, les salons du chiot, les foires, les petites annonces. La magouille consiste à mettre les chiots proposés à la vente sous portée française et à tricher sur l’âge des chiens, c’est-à-dire en dessous des 15 semaines légales quand ils viennent de l’étranger (contre 8 semaines s’ils sont nés en France). Plus c’est petit, mieux ça se vend. Provenant des élevages en batterie de Slovaquie, Tchéquie, Hongrie, Roumanie, les chiots à peine sevrés font des quinzaines d’heures de route, entassés dans des camionnettes, avant d’arriver en France. Bien souvent, ils développent des pathologies lourdes et des troubles comportementaux qui empoisonnent la vie des acheteurs.
A la clinique vétérinaire de Lagny-sur-Marne, échographie d’une chienne utilisée pour la reproduction intensive. A la clinique vétérinaire de Lagny-sur-Marne, échographie d’une chienne utilisée pour la reproduction intensive.
Gaëlle Girbes/ Sipa Press
« On voit aussi revenir de vrais voyous, constate Franck Verger. Les combats de pitbulls, que l’on croyait réservés aux années 1990, ont repris depuis deux ans. » Pas besoin d’importer, le pit est une des spécialités de l’Hexagone. On sait le faire se reproduire jusqu’à l’épuisement et l’élever à coups de matraque. Sur Facebook, les pages dédiées pullulent. L’une des plaies du moment, ce sont aussi les particuliers qui commencent par croiser Médor avec Mirza. Ils se déclarent éleveurs avec autorisation préfectorale et certificat de capacité en règle, puis improvisent sans se soucier des standards de race et encore moins des impératifs biologiques. Le résultat donne des bouges sordides au fond des jardins ou des caves, ainsi que des centaines d’animaux en souffrance, affublés de pedigrees dont ils n’ont jamais été pourvus. Des réfrigérateurs blindés de cadavres pour ne pas payer l’équarrissage quand il y a « de la perte » et des acheteurs bernés qui finissent par mettre leur animal malade au rebut.
Notre job, c’est de forcer l’Etat à faire son travail
Les clients « arnaqués sur le produit » ou des voisins témoins de maltraitances font les signalements. Mais ça ne suffit pas. La traque s’effectue sur Internet – la plaque tournante du trafic –, notamment sur les sites Leboncoin ou encore Vivastreet. Il faut éplucher les petites annonces, recouper les informations, enquêter sur place, monter un dossier, attendre que le parquet autorise (ou pas) la saisie. « Malgré la loi de 2015 reconnaissant aux animaux la qualité d’êtres vivants doués de sensibilité, ils ne sont pas une priorité », déplore Anne-Claire Chauvancy, responsable de la protection animale à la Fondation Assistance aux animaux, qui œuvre au démantèlement des réseaux et lutte contre la maltraitance. « Qu’il s’agisse des procureurs, des agents de la DDPP ou des fonctionnaires de police, tout est question d’individu. Nombre d’entre eux ne sont pas au courant des lois de protection animale, d’autres ferment les yeux. Des affaires sont ficelées en quinze jours, certaines traînent depuis dix ans. Notre job, c’est de forcer l’Etat à faire son travail. » Une fois libérés, les animaux sont pris en charge par les associations. Soignés par un vétérinaire, ils rejoignent les 100 000 malheureux abandonnés chaque année – dont 60 000 l’été – qui attendent déjà d’être adoptés dans des refuges saturés.
Se faire de l’argent sur le dos de la bête est accessible à tous et moins risqué que les armes ou la drogue. En décembre 2013, une étude réalisée sur une semaine par le Syndicat national des professions du chien et du chat (SNPCC) a évalué à 15,6 millions d’euros le chiffre d’affaires tiré de la vente de chiots et de chatons sur le site Leboncoin. Le syndicat estime que près de 80 % des ventes sont réalisées par des particuliers et 20 % par des professionnels. Afin de lutter contre le trafic et d’enrayer les pertes fiscales colossales pour l’Etat, le gouvernement a publié une ordonnance le 7 octobre 2015. Depuis, tout vendeur qui poste une annonce doit se déclarer auprès de la chambre d’agriculture afin d’obtenir un numéro Siren. L’ordonnance prévoit une dérogation pour les personnes qui ne vendent pas plus d’une portée par an : elles sont exemptées de Siren, mais doivent publier le numéro de portée attribué par les livres généalogiques.
Comme pour les chaussures, il y a des vagues de chiens « hype »
Les sanctions s’élèvent à 7 500 euros d’amende en cas d’absence de numéro Siren et 750 euros en cas de non-respect des mentions obligatoires sur les annonces. En revanche, aucune pénalité n’est prévue pour le site hébergeur. « Ça a calmé le jeu, assure Franck Verger. On a constaté une diminution de 30 % des annonces sur Leboncoin, le principal pourvoyeur de chiens. » Les fraudeurs ont pourtant trouvé la parade : ils cochent la case « don », qui n’exige aucun numéro. Faites le test. Choisissez un chien ou un chat de race « à donner » et demandez plus d’informations. Il vous faudra finalement débourser des centaines d’euros. La directrice de la communication du Bon Coin nous explique qu’aucun dirigeant ne souhaite s’exprimer sur le sujet. « Nous respectons la loi, tient-elle à préciser. Si une annonce semble frauduleuse, on peut la signaler et elle sera retirée du site. » Il suffit alors de se recréer un profil… Même subterfuge pour les numéros Siren. Les éleveurs sur la sellette ou interdits d’exercer utilisent un prête-nom, et donc une nouvelle immatriculation, pour reprendre leur activité crapuleuse. D’autres se rabattent sur Facebook, où il est impossible d’agir. Alors, comment mettre un terme au fléau ?
Personne ne se fait d’illusions. « Tant qu’il y aura de la demande, il y aura de l’offre, prévient Franck Verger. Le plus difficile est de raisonner les gens qui encouragent le trafic malgré eux. » Quatre-vingts pour cent des Français se déclarent sensibles à la cause animale, mais la plupart sont incapables de résister aux sirènes de la mode. Comme pour les chaussures, il y a des vagues de chiens « hype ». Depuis le film « Men in Black », la demande de carlins s’est envolée. Avec « Boule et Bill », le cocker a pris cher. En troquant son sac à main pour un chihuahua, Paris Hilton a fait du plus petit chien du monde la race la plus importée. La fureur du moment, c’est le spitz nain. A l’origine de la frénésie ? Le spitz Boo et ses 16,6 millions d’abonnés sur Facebook. Achetée entre 50 et 400 euros en Russie, cette « peluche vivante » se revend jusqu’à 4 200 euros en France. En région parisienne, une éleveuse nous a proposé un spitz détenu dans des conditions immondes pour 1 400 euros au lieu de 1 600 « car il a déjà 4 mois… ». L’offre est si bien implantée qu’on peut même faire les soldes.
L'article
Extérieur jour. Une cour d’immeuble, à Saint-Denis. Deux locaux poubelles ; portes en bois entravées d’une chaîne, sans cadenas. Des gémissements. Intérieur nuit. Une odeur âcre qui provoque des haut-le-cœur. Il faut se frayer un chemin entre les restes de nourriture avariée et les déjections. Prostrée au fond de sa geôle, une chienne de race american staff, mamelles gonflées, se laisse approcher.
Quelques caresses et elle accepte de nous suivre, pressentant la fin du calvaire. Dans le second réduit de 2 mètres carrés, l’équipe de la Fondation 30 millions d’amis délivre un autre pitbull qui baigne dans l’urine et les excréments. Terrorisée, la pauvre bête peine à marcher. « Ces animaux servent à la reproduction, explique Arnauld Lhomme, enquêteur de la fondation. Leur attitude laisse deviner qu’ils sont régulièrement tabassés. »
Sur le toit des cabanons, on découvre un manche de pioche, un martinet, un crochet… Ce 1er mars 2018, un chiot est également saisi. Agé d’environ 4 mois, craintif, il présente une blessure à la mâchoire. « Une fracture ouverte de la mandibule droite, non soignée et datant de plusieurs jours », notera le vétérinaire. Aux fenêtres, les voisins observent la scène, soulagés. Le manège durait depuis des mois. Après avoir squatté l’appartement du rez-de-chaussée, des types avaient monté leur business clandestin dans les parties communes de la copropriété. « Le staff reste très demandé, indique un responsable de la fourrière de la Seine-Saint-Denis. Il se revend 900 euros au marché noir. »
Changement de décor. Un village en Haute-Saône, près de Marnay. Quelques maisons au milieu des champs. La France tranquille. C’est dans ce cadre bucolique que les 10 enquêteurs de la brigade de recherches de Vesoul montent une planque, dans la nuit du 16 mars 2018. Bingo. Un fourgon en provenance de Slovaquie vient effectuer sa livraison. Au petit matin, les militaires, assistés de la brigade nationale vétérinaire et de la cellule antitrafic de la SPA, débarquent dans la propriété de Jean-Jacques M., 72 ans. Dans la grange, ils découvrent 11 bouledogues français et 12 carlins parqués sur de la paille. La cavalerie se hâte de les récupérer. Jean-Jacques M. ne bronche pas. Garde à vue. Motif : « introduction sur le territoire d’animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, exécution de travail dissimulé et blanchiment ».
Son dossier est costaud. Il est soupçonné d’avoir écoulé 150 chiens importés illégalement depuis 2015, via le site Leboncoin. Bien rodée, sa petite entreprise ne connaît pas la crise. Cet ancien vétérinaire radié de l’ordre passe une partie de l’année sous le soleil, en Corse, puis revient en Haute-Saône quand ça mord sur Internet ou dans les salons du chien. Un job en flux tendu. Diffusion d’annonces, commandes en fonction de la demande, vaccinations contre la rage douteuses. Un bouledogue acheté 480 euros aux Slovaques est revendu 850 euros en France. Un carlin payé 360 euros est proposé 720 euros. Montant des gains en deux ans et demi : 130 000 euros. Net d’impôt. Problème : les chiots ont, par la suite, une fâcheuse tendance à développer des maladies moyenâgeuses : gale, démodécie, toux de chenil, teigne… Une acheteuse en a fait les frais. C’est elle qui a donné l’alerte, et c’est comme ça que l’ancien vétérinaire s’est fait pincer.
Pour répondre à la demande, explique Franck Verger, il faut produire 800 000 chiots par an
Troisième trafic mondial après la drogue et les armes, le trafic d’animaux est un sport national en France, mais personne n’est capable de le chiffrer. Il n’y a pas de rapport financier annuel, aucune base ne regroupe le nombre d’animaux de compagnie saisis à la suite des investigations des associations de protection animale et des DDPP (directions départementales de la protection des populations). « Il est difficile d’évaluer une activité qui, par nature, est dissimulée, relève Franck Verger de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP). D’autant que, en France, en ce qui concerne les animaux domestiques, on ne parle pas de trafic – la qualification pénale pour ce terme n’existe pas –, mais de commerce non conforme à la réglementation. Les premières victimes sont les chiens. » A ce jour, le fichier national I-Cad (identification des carnivores domestiques) recense dans l’Hexagone 10 millions de chiens et 5,8 millions de chats. « Pour répondre à la demande, poursuit Franck Verger, il faut produire 800 000 chiots par an. L’élevage clandestin et l’importation illégale touchent au minimum un tiers d’entre eux. »
Pas un mois ne passe sans que la BNEVP et les associations soient sollicitées. Depuis 1993, la SPA a sa propre cellule dirigée par un ancien gendarme, Julien Soubiron. « On a vu l’évolution du trafic, dit-il. Il y a quelques années, on était face à de gros importateurs clandestins qu’on a pu faire tomber. Désormais, il n’y a plus de profil type. » « Même déclarés, beaucoup d’éleveurs bricolent, confirme Franck Verger. Ils font entrer des chiens des pays de l’Est, ça leur permet de gagner du temps et de l’argent. Ce n’est pas interdit, à condition que les animaux soient identifiés par puce électronique et que la vaccination contre la rage soit valable…
Plus les chiots sont petits, mieux ils se vendent
Pour l’heure, c’est le sanitaire qui régit le règlement, pas le bien-être. » Coïncidence troublante, en quatre ans, le nombre de carnivores importés a augmenté de 17 %, révèle l’I-Cad. Ces éleveurs alimentent ainsi les vitrines des animaleries, les salons du chiot, les foires, les petites annonces. La magouille consiste à mettre les chiots proposés à la vente sous portée française et à tricher sur l’âge des chiens, c’est-à-dire en dessous des 15 semaines légales quand ils viennent de l’étranger (contre 8 semaines s’ils sont nés en France). Plus c’est petit, mieux ça se vend. Provenant des élevages en batterie de Slovaquie, Tchéquie, Hongrie, Roumanie, les chiots à peine sevrés font des quinzaines d’heures de route, entassés dans des camionnettes, avant d’arriver en France. Bien souvent, ils développent des pathologies lourdes et des troubles comportementaux qui empoisonnent la vie des acheteurs.
« On voit aussi revenir de vrais voyous, constate Franck Verger. Les combats de pitbulls, que l’on croyait réservés aux années 1990, ont repris depuis deux ans. » Pas besoin d’importer, le pit est une des spécialités de l’Hexagone. On sait le faire se reproduire jusqu’à l’épuisement et l’élever à coups de matraque. Sur Facebook, les pages dédiées pullulent. L’une des plaies du moment, ce sont aussi les particuliers qui commencent par croiser Médor avec Mirza. Ils se déclarent éleveurs avec autorisation préfectorale et certificat de capacité en règle, puis improvisent sans se soucier des standards de race et encore moins des impératifs biologiques. Le résultat donne des bouges sordides au fond des jardins ou des caves, ainsi que des centaines d’animaux en souffrance, affublés de pedigrees dont ils n’ont jamais été pourvus. Des réfrigérateurs blindés de cadavres pour ne pas payer l’équarrissage quand il y a « de la perte » et des acheteurs bernés qui finissent par mettre leur animal malade au rebut.
Notre job, c’est de forcer l’Etat à faire son travail
Après la drogue et les armes, les animaux sont le troisième marché criminel. Première victime en France : le meilleur ami de l’homme. Enquête coup de poing sur un fléau.
Extérieur jour. Une cour d’immeuble, à Saint-Denis. Deux locaux poubelles ; portes en bois entravées d’une chaîne, sans cadenas. Des gémissements. Intérieur nuit. Une odeur âcre qui provoque des haut-le-cœur. Il faut se frayer un chemin entre les restes de nourriture avariée et les déjections. Prostrée au fond de sa geôle, une chienne de race american staff, mamelles gonflées, se laisse approcher.
Lire aussi: Non au massacre des chiens roumains
Quelques caresses et elle accepte de nous suivre, pressentant la fin du calvaire. Dans le second réduit de 2 mètres carrés, l’équipe de la Fondation 30 millions d’amis délivre un autre pitbull qui baigne dans l’urine et les excréments. Terrorisée, la pauvre bête peine à marcher. « Ces animaux servent à la reproduction, explique Arnauld Lhomme, enquêteur de la fondation. Leur attitude laisse deviner qu’ils sont régulièrement tabassés. »
Lire aussi: Pantin : plusieurs cadavres de chiens retrouvés dans un logement
Sur le toit des cabanons, on découvre un manche de pioche, un martinet, un crochet… Ce 1er mars 2018, un chiot est également saisi. Agé d’environ 4 mois, craintif, il présente une blessure à la mâchoire. « Une fracture ouverte de la mandibule droite, non soignée et datant de plusieurs jours », notera le vétérinaire. Aux fenêtres, les voisins observent la scène, soulagés. Le manège durait depuis des mois. Après avoir squatté l’appartement du rez-de-chaussée, des types avaient monté leur business clandestin dans les parties communes de la copropriété. « Le staff reste très demandé, indique un responsable de la fourrière de la Seine-Saint-Denis. Il se revend 900 euros au marché noir. »
Lire aussi: Rhône : 53 chiens maltraités retrouvés dans une maison
Changement de décor. Un village en Haute-Saône, près de Marnay. Quelques maisons au milieu des champs. La France tranquille. C’est dans ce cadre bucolique que les 10 enquêteurs de la brigade de recherches de Vesoul montent une planque, dans la nuit du 16 mars 2018. Bingo. Un fourgon en provenance de Slovaquie vient effectuer sa livraison. Au petit matin, les militaires, assistés de la brigade nationale vétérinaire et de la cellule antitrafic de la SPA, débarquent dans la propriété de Jean-Jacques M., 72 ans. Dans la grange, ils découvrent 11 bouledogues français et 12 carlins parqués sur de la paille. La cavalerie se hâte de les récupérer. Jean-Jacques M. ne bronche pas. Garde à vue. Motif : « introduction sur le territoire d’animaux non conformes aux conditions sanitaires ou de protection, exécution de travail dissimulé et blanchiment ».
Anne-Claire examine des annonces suspectes publiées sur Le boncoin. Anne-Claire examine des annonces suspectes publiées sur Le boncoin.
Gaëlle Girbes/ Sipa Press
Son dossier est costaud. Il est soupçonné d’avoir écoulé 150 chiens importés illégalement depuis 2015, via le site Leboncoin. Bien rodée, sa petite entreprise ne connaît pas la crise. Cet ancien vétérinaire radié de l’ordre passe une partie de l’année sous le soleil, en Corse, puis revient en Haute-Saône quand ça mord sur Internet ou dans les salons du chien. Un job en flux tendu. Diffusion d’annonces, commandes en fonction de la demande, vaccinations contre la rage douteuses. Un bouledogue acheté 480 euros aux Slovaques est revendu 850 euros en France. Un carlin payé 360 euros est proposé 720 euros. Montant des gains en deux ans et demi : 130 000 euros. Net d’impôt. Problème : les chiots ont, par la suite, une fâcheuse tendance à développer des maladies moyenâgeuses : gale, démodécie, toux de chenil, teigne… Une acheteuse en a fait les frais. C’est elle qui a donné l’alerte, et c’est comme ça que l’ancien vétérinaire s’est fait pincer.
Pour répondre à la demande, explique Franck Verger, il faut produire 800 000 chiots par an
Troisième trafic mondial après la drogue et les armes, le trafic d’animaux est un sport national en France, mais personne n’est capable de le chiffrer. Il n’y a pas de rapport financier annuel, aucune base ne regroupe le nombre d’animaux de compagnie saisis à la suite des investigations des associations de protection animale et des DDPP (directions départementales de la protection des populations). « Il est difficile d’évaluer une activité qui, par nature, est dissimulée, relève Franck Verger de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP). D’autant que, en France, en ce qui concerne les animaux domestiques, on ne parle pas de trafic – la qualification pénale pour ce terme n’existe pas –, mais de commerce non conforme à la réglementation. Les premières victimes sont les chiens. » A ce jour, le fichier national I-Cad (identification des carnivores domestiques) recense dans l’Hexagone 10 millions de chiens et 5,8 millions de chats. « Pour répondre à la demande, poursuit Franck Verger, il faut produire 800 000 chiots par an. L’élevage clandestin et l’importation illégale touchent au minimum un tiers d’entre eux. »
Cette chienne chihuahua, saisie en Seine-et-Marne, a mis bas dans un refuge de 30 millions d’amis. Cette chienne chihuahua, saisie en Seine-et-Marne, a mis bas dans un refuge de 30 millions d’amis.
Gaëlle Girbes/ Sipa Press
Pas un mois ne passe sans que la BNEVP et les associations soient sollicitées. Depuis 1993, la SPA a sa propre cellule dirigée par un ancien gendarme, Julien Soubiron. « On a vu l’évolution du trafic, dit-il. Il y a quelques années, on était face à de gros importateurs clandestins qu’on a pu faire tomber. Désormais, il n’y a plus de profil type. » « Même déclarés, beaucoup d’éleveurs bricolent, confirme Franck Verger. Ils font entrer des chiens des pays de l’Est, ça leur permet de gagner du temps et de l’argent. Ce n’est pas interdit, à condition que les animaux soient identifiés par puce électronique et que la vaccination contre la rage soit valable…
Plus les chiots sont petits, mieux ils se vendent
Pour l’heure, c’est le sanitaire qui régit le règlement, pas le bien-être. » Coïncidence troublante, en quatre ans, le nombre de carnivores importés a augmenté de 17 %, révèle l’I-Cad. Ces éleveurs alimentent ainsi les vitrines des animaleries, les salons du chiot, les foires, les petites annonces. La magouille consiste à mettre les chiots proposés à la vente sous portée française et à tricher sur l’âge des chiens, c’est-à-dire en dessous des 15 semaines légales quand ils viennent de l’étranger (contre 8 semaines s’ils sont nés en France). Plus c’est petit, mieux ça se vend. Provenant des élevages en batterie de Slovaquie, Tchéquie, Hongrie, Roumanie, les chiots à peine sevrés font des quinzaines d’heures de route, entassés dans des camionnettes, avant d’arriver en France. Bien souvent, ils développent des pathologies lourdes et des troubles comportementaux qui empoisonnent la vie des acheteurs.
A la clinique vétérinaire de Lagny-sur-Marne, échographie d’une chienne utilisée pour la reproduction intensive. A la clinique vétérinaire de Lagny-sur-Marne, échographie d’une chienne utilisée pour la reproduction intensive.
Gaëlle Girbes/ Sipa Press
« On voit aussi revenir de vrais voyous, constate Franck Verger. Les combats de pitbulls, que l’on croyait réservés aux années 1990, ont repris depuis deux ans. » Pas besoin d’importer, le pit est une des spécialités de l’Hexagone. On sait le faire se reproduire jusqu’à l’épuisement et l’élever à coups de matraque. Sur Facebook, les pages dédiées pullulent. L’une des plaies du moment, ce sont aussi les particuliers qui commencent par croiser Médor avec Mirza. Ils se déclarent éleveurs avec autorisation préfectorale et certificat de capacité en règle, puis improvisent sans se soucier des standards de race et encore moins des impératifs biologiques. Le résultat donne des bouges sordides au fond des jardins ou des caves, ainsi que des centaines d’animaux en souffrance, affublés de pedigrees dont ils n’ont jamais été pourvus. Des réfrigérateurs blindés de cadavres pour ne pas payer l’équarrissage quand il y a « de la perte » et des acheteurs bernés qui finissent par mettre leur animal malade au rebut.
Notre job, c’est de forcer l’Etat à faire son travail
Les clients « arnaqués sur le produit » ou des voisins témoins de maltraitances font les signalements. Mais ça ne suffit pas. La traque s’effectue sur Internet – la plaque tournante du trafic –, notamment sur les sites Leboncoin ou encore Vivastreet. Il faut éplucher les petites annonces, recouper les informations, enquêter sur place, monter un dossier, attendre que le parquet autorise (ou pas) la saisie. « Malgré la loi de 2015 reconnaissant aux animaux la qualité d’êtres vivants doués de sensibilité, ils ne sont pas une priorité », déplore Anne-Claire Chauvancy, responsable de la protection animale à la Fondation Assistance aux animaux, qui œuvre au démantèlement des réseaux et lutte contre la maltraitance. « Qu’il s’agisse des procureurs, des agents de la DDPP ou des fonctionnaires de police, tout est question d’individu. Nombre d’entre eux ne sont pas au courant des lois de protection animale, d’autres ferment les yeux. Des affaires sont ficelées en quinze jours, certaines traînent depuis dix ans. Notre job, c’est de forcer l’Etat à faire son travail. » Une fois libérés, les animaux sont pris en charge par les associations. Soignés par un vétérinaire, ils rejoignent les 100 000 malheureux abandonnés chaque année – dont 60 000 l’été – qui attendent déjà d’être adoptés dans des refuges saturés.
Se faire de l’argent sur le dos de la bête est accessible à tous et moins risqué que les armes ou la drogue. En décembre 2013, une étude réalisée sur une semaine par le Syndicat national des professions du chien et du chat (SNPCC) a évalué à 15,6 millions d’euros le chiffre d’affaires tiré de la vente de chiots et de chatons sur le site Leboncoin. Le syndicat estime que près de 80 % des ventes sont réalisées par des particuliers et 20 % par des professionnels. Afin de lutter contre le trafic et d’enrayer les pertes fiscales colossales pour l’Etat, le gouvernement a publié une ordonnance le 7 octobre 2015. Depuis, tout vendeur qui poste une annonce doit se déclarer auprès de la chambre d’agriculture afin d’obtenir un numéro Siren. L’ordonnance prévoit une dérogation pour les personnes qui ne vendent pas plus d’une portée par an : elles sont exemptées de Siren, mais doivent publier le numéro de portée attribué par les livres généalogiques.
Comme pour les chaussures, il y a des vagues de chiens « hype »
Les sanctions s’élèvent à 7 500 euros d’amende en cas d’absence de numéro Siren et 750 euros en cas de non-respect des mentions obligatoires sur les annonces. En revanche, aucune pénalité n’est prévue pour le site hébergeur. « Ça a calmé le jeu, assure Franck Verger. On a constaté une diminution de 30 % des annonces sur Leboncoin, le principal pourvoyeur de chiens. » Les fraudeurs ont pourtant trouvé la parade : ils cochent la case « don », qui n’exige aucun numéro. Faites le test. Choisissez un chien ou un chat de race « à donner » et demandez plus d’informations. Il vous faudra finalement débourser des centaines d’euros. La directrice de la communication du Bon Coin nous explique qu’aucun dirigeant ne souhaite s’exprimer sur le sujet. « Nous respectons la loi, tient-elle à préciser. Si une annonce semble frauduleuse, on peut la signaler et elle sera retirée du site. » Il suffit alors de se recréer un profil… Même subterfuge pour les numéros Siren. Les éleveurs sur la sellette ou interdits d’exercer utilisent un prête-nom, et donc une nouvelle immatriculation, pour reprendre leur activité crapuleuse. D’autres se rabattent sur Facebook, où il est impossible d’agir. Alors, comment mettre un terme au fléau ?
Personne ne se fait d’illusions. « Tant qu’il y aura de la demande, il y aura de l’offre, prévient Franck Verger. Le plus difficile est de raisonner les gens qui encouragent le trafic malgré eux. » Quatre-vingts pour cent des Français se déclarent sensibles à la cause animale, mais la plupart sont incapables de résister aux sirènes de la mode. Comme pour les chaussures, il y a des vagues de chiens « hype ». Depuis le film « Men in Black », la demande de carlins s’est envolée. Avec « Boule et Bill », le cocker a pris cher. En troquant son sac à main pour un chihuahua, Paris Hilton a fait du plus petit chien du monde la race la plus importée. La fureur du moment, c’est le spitz nain. A l’origine de la frénésie ? Le spitz Boo et ses 16,6 millions d’abonnés sur Facebook. Achetée entre 50 et 400 euros en Russie, cette « peluche vivante » se revend jusqu’à 4 200 euros en France. En région parisienne, une éleveuse nous a proposé un spitz détenu dans des conditions immondes pour 1 400 euros au lieu de 1 600 « car il a déjà 4 mois… ». L’offre est si bien implantée qu’on peut même faire les soldes.
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