Abattoir du Vigan : l'employé sadique était «responsable protection animale» !

A l'occasion du procès de salariés de l'abattoir du Vigan, suscité par la vidéo de l'association L214, on a découvert que le responsable d'actes à caractère sadique, selon les termes mêmes du procureur, avait au sein de l'abattoir le statut de « responsable protection animale ».

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La vidéo de L214 et le procès

Jeudi 23 et vendredi 24 mars, avait lieu au tribunal de grande instance d’Alès le procès de trois employés de l'abattoir du Vigan, pour mauvais traitements et actes de cruauté sur animaux.
La Communauté de communes du pays viganais, qui gérait l'abattoir, était également au rang des prévenus.

C'est la vidéo diffusée en février 2016 par l'association L214, assemblant des images tournées entre juin 2015 et février 2016, qui a fait scandale.
Elle faisait suite à la diffusion en octobre 2015 d'une vidéo tournée à l'abattoir d'Alès, laquelle avait déjà fait scandale.
Elle allait être suivie par d'autres vidéos, à commencer par celle tournée à l'abattoir de Mauléon fin mars 2016, laquelle décida le ministère de l'Agriculture à lancer début avril 2016 un plan d'actions "Bien-être animal".

La vidéo du Vigan fut à l'origine d'une commission d'enquête parlementaire fin mars 2016, qui rendit son rapport en septembre 2016, puis, début décembre 2016, de l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée d'une proposition de loi sur le respect de l'animal en abattoir, discutée et adoptée en séance publique le 12 janvier 2017 et transmise au Sénat.

Les divers médias français ont rendu compte de ces deux journées d'audience.
Comme toujours, les comptes-rendus d'Audrey Garric, journaliste au Monde qui était sur place et a fait un « live tweet » (c'est-à-dire a relayé le déroulement du procès sur son compte Twitter), sont parmi les meilleurs :
Arrow Maltraitance animale : le premier procès d’un abattoir s’ouvre à Alès
Arrow A la barre, les « tueurs » des abattoirs invoquent cadences et matériel défaillant
Arrow Abattoir du Vigan : un an de prison avec sursis requis pour cruauté animale

Le Midi Libre a également rendu compte en direct de la première journée et de la seconde journée du procès.
Mentionnons aussi l'article de Sarah Finger, envoyée spéciale de Libération à Alès : Abattoir du Vigan : «On a été filmés ce jour-là, pas de chance»

Les réquisitions du procureur

Le procureur de la République a retenu à l'encontre des trois salariés 29 contraventions et 2 délits.

Il a requis 150 et 600 euros d'amendes à l'encontre de deux des trois employés, Gilles Esteves et Nicolas Granier, pour mauvais traitements relevant de la contravention.

Mais les peines requises contre le troisième employé, Marc Soulier, sont plus sévères :  3400 euros d'amendes cumulées pour mauvais traitements relevant de la contravention, mais aussi 12 mois de prison avec sursis pour actes de cruauté relevant du délit. Et, accessoirement, une interdiction de travailler dans un abattoir pendant cinq ans et de détenir des animaux de rente.
Marc Soulier est à lui seul responsable des 2 délits et de 17 des 29 contraventions.

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Quant à la Communauté de communes gérant l'abattoir, elle fait l'objet d'une réquisition de 6 000 euros d'amendes cumulées, pour des infractions comme abattage sans précaution, équipements non conformes, ou saignée tardive.
L'abattoir du Vigan était un des plus petits abattoirs de France, spécialisé dans la vente directe et certifiée bio. On y traitait chaque année seulement 300 tonnes de viande, provenant d’animaux d’une petite centaine d’éleveurs en circuit court. Ses locaux avaient été modernisés en 2010 et en 2014. Non seulement l'entreprise n'était pas rentable, mais elle était déficitaire, ce qui pose le problème des abattoirs de proximité.
En tout cas ceci rend risible la justification des écarts de Soulier par les cadences.

La décision du tribunal a été mise en délibéré au 28 avril prochain. Soit cinq jours après le premier tour des présidentielles, qui polariseront alors plus que jamais les médias français.

Les deux délits de Marc Soulier

Les deux délits relevés par le procureur sont les suivants :

- la projection violente de moutons au-dessus d’une clôture, alors qu’il y avait un passage pour mener les animaux :



- les coups de pince à électronarcose sur le museau de brebis, administrés pour rire :



Le prévenu cumule par ailleurs un certain nombre de mauvais traitements, par exemple des coups.



Marc Soulier, fils d’éleveur âgé de 24 ans, licencié de l'abattoir à la suite de la vidéo, était entré en abattoir à 15 ans (en atelier de découpe) comme apprenti pour un CAP de boucher.
C'est logiquement lui qui a le plus attiré l'attention des médias (voir par exemple les sites de France 3, d'Europe 1, du Monde, du Parisien, de La Croix...)

Au début de mon billet Opérateur d'abattage : un métier comme les autres ?, , j'avais écrit, à propos de la séquence où l'employé s'amuse à porter des coups de pince à électronarcose sur le museau de brebis, que de tels individus « ne doivent pas faire l'objet d'une simple contravention de 4ème classe (750 euros au plus) telle que prévue par l'article R215-8 II du code rural ou par l'article R654-1 du code pénal. Ils doivent faire l'objet d'une peine de prison ferme au titre de l'article 521-1 du code pénal, fût-ce au titre de l'exemplarité. »
Je maintiens que de la prison ferme, et non avec sursis, eût été de mise. Le procureur a peut-être craint, chez un abruti pareil, une « radicalisation » au contact de mauvaises fréquentations…

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Responsable protection animale

La cerise sur le gâteau, c'est que Marc Soulier était le « responsable protection animale » de l'abattoir, reconnu par une formation et un certificat. Il a déclaré qu'on lui avait imposé ce statut, sur ce point il est pour une fois crédible.

Qu'est ce qu'un « responsable protection animale » (RPA) ? Il s'agit du « responsable du bien-être des animaux » tel que défini par l'article 17 du règlement du Conseil de l'UE du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.
applicable depuis le 1er janvier 2013.
Un arrêté du ministre de l'Agriculture en date du 31 juillet 2012 détermine les conditions de délivrance du certificat de compétence pour la protection des animaux en abattoir

Le règlement européen n'impose de responsable du bien-être des animaux que pour les abattoirs produisant un certain tonnage. Ainsi, en France, sur les 263 abattoirs d'ongulés domestiques (bovins, porcins, ovins, caprins, équins), 36 étaient en-dessous des critères. L'abattoir du Vigan en faisait partie, cependant il avait donc quand même nommé un reponsable protection animale, sans doute pour rassurer les éleveurs.

Et suite aux scandales, Stéphane Le Foll, dont le bien-être animal est le cadet des soucis, avait cru devoir affirmer dès mars 2016 sa volonté que chaque abattoir, quelle soit sa taille, dispose d'un RPA. Cette annonce avait été reprise à l'époque par tous les médias français. Le ministère de l'Agriculture avait publié dans la foulée, début avril, les 20 mesures de son plan bien-être animal (BEA), la mesure n° 12 consistant à « généraliser la désignation dans tous les établissements, d’un responsable du contrôle des modalités de mise à mort des animaux ».

De même, la commission d'enquête parlementaire sur les conditions d’abattage préconisait, dans la proposition n°47 de son rapport, de « s’assurer que la présence d’un responsable protection animale soit généralisée à l’ensemble des abattoirs du territoire français. »

Conclusion

Le cas Marc Soulier illustre on ne peut mieux le caractère illusoire d'un contrôle opéré « de l'intérieur », par un employé de l'abattoir.

Dans mon billet sur le Rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les conditions d'abattage, , je soulignais « L'Homo sapiens étant ce qu'il est, la proposition la plus importante en termes d'efficacité est la proposition n° 62 : Rendre obligatoire l’installation de caméras dans toutes les zones des abattoirs dans lesquelles des animaux vivants sont manipulés. »

La proposition de loi relative au respect de l’animal en abattoir, telle qu'adoptée en première lecture par l'Assemblée en janvier 2017, prévoit d'insérer dans le code rural un article selon lequel « des caméras sont installées dans tous les lieux d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage et de mise à mort des animaux. »
Mais tenez-vous bien, le 3ème alinéa stipule : « Au titre de la protection animale, seuls ont accès aux images les services de contrôle vétérinaire et les responsables protection animale »

Donc si l'abattoir du Vigan avait disposé d'un contrôle vidéo selon ces termes, c'est Marc Soulier qui aurait eu accès aux images. Veut-on nous faire croire qu'il aurait sommé le directeur de le licencier et de le poursuivre en justice ?
Quant aux services de contrôle vétérinaire, on ne peut pas dire que les DDSV, puis à partir de 2010 les DDPP, se soient particulièrement illustrées par leur souci de la protection animale.

Mais bon, la proposition de loi telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale a au moins l'immense mérite de maintenir le principe du contrôle vidéo. Cependant, elle devra affronter le Sénat, chambre particulièrement réactionnaire et clientéliste en matière de protection animale.

https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-richier/blog/260317/abattoir-du-vigan-lemploye-sadique-etait-responsable-protection-animale